Pendant toute la période estivale, nous questionnons divers travailleurs : salariés, indépendants et dirigeants d’entreprise, afin de comprendre leur relation avec les intelligences artificielles génératives. Nous cherchons à savoir de quelle manière ils intègrent ces technologies dans leurs tâches quotidiennes et comment cela influence leurs méthodes de travail. Aujourd’hui, nous donnons la parole à Hadrien Courtemanche, enseignant de français.
L’IA et l’Éducation : Entre espoir et inquiétude pour Hadrien Courtemanche
Hadrien Courtemanche, âgé de 33 ans, est un enseignant chevronné de français au lycée Benjamin Franklin à Orléans. Depuis une décennie, il se consacre à l’éducation des élèves de seconde et de première, tout en animant des ateliers d’écriture à l’université. L’intelligence artificielle générative, il en a pris connaissance il y a un an, par le biais de ChatGPT.
« Mon premier réflexe, c’est de la peur et de l’angoisse, parce que l’intelligence artificielle générative est capable de créer du contenu intellectuel. C’est un concurrent de poids, qui ne s’épuise pas, qui a des capacités hors norme, et un accès à une masse d’informations, que nous ne pouvons pas posséder ».
Hadrien CourtemancheProfesseur de français
Ce n’est cependant qu’à la rentrée de 2023 que l’IA générative a véritablement bouleversé sa méthode d’enseignement, principalement lors de la correction des dissertations effectuées à domicile par ses élèves de première.
« J’ai rapidement vu certains élèves, qui avaient un niveau tout à fait correct, me rendre des copies avec des formulations et des structures argumentatives, qui n’étaient pas celles qu’ils étaient capables d’utiliser avec moi au quotidien. Ça m’avait alerté, j’ai fait des copier-coller et j’ai retrouvé des schémas directement dans ChatGPT. Après, quand on discute avec les élèves, certains font preuve de totale bonne foi, ils disent : ben oui Monsieur, j’ai utilisé la machine, c’est quand même beaucoup plus pratique et rapide ! Ça a été terrifiant comme expérience. »
Notions de plagiat, d’honnêteté intellectuelle et d’effort dans l’apprentissage
Pour confronter ses élèves aux implications de l’utilisation de l’IA, Hadrien Courtemanche a instauré des cours abordant les notions de plagiat, l’honnêteté intellectuelle et l’effort dans l’apprentissage. Les résultats ont été mitigés, mais il semble déterminé à trouver une solution durable dès la prochaine rentrée.
« Je pense que je ne donnerai plus de travail à la maison, parce qu’on a des copies générées par autre qu’un élève. Cela devient dramatique, parce que nous n’avons plus les bons outils pour les évaluer, je ne sais pas si j’évalue un élève ou une machine, je ne sais plus comment je vais prendre le pouls de leur progression. Dans mon cas, il va falloir renoncer à un certain nombre de travaux à la maison, qui faisait partie de ma pédagogie, pour leur permettre de prendre le temps de s’approprier les exercices en question. »
« Ce qui est certain, c’est que c’est une question qui inquiète. On en parle beaucoup, plus encore entre les professeurs de lettres. Il y a une symbolique derrière notre discipline. On se sent beaucoup plus attaqués que nos collègues de sciences dures. »
Hadrien Courtemanche
Ce professeur de français ne se sent pas assez épaulé, il se dit même démuni
« L’Éducation nationale fait ce qu’elle peut » dit-il, mais il souhaiterait que lui et ses collègues soient formés aux intelligences artificielles pour parer certains dangers, pour apprendre aussi à travailler avec elles. « Ne pas être épaulé participe beaucoup à ce sentiment d’angoisse » affirme-t-il.
Selon Courtemanche, le sujet n’est pas anodin car il modifie profondément les pratiques pédagogiques et le rapport au métier d’enseignant. Il plaide pour une formation des enseignants qui permettrait de mieux comprendre et intégrer l’IA dans le cursus scolaire, afin que les enseignants ne subissent plus ces nouvelles technologies, mais qu’ils puissent les utiliser de manière constructive.
Inquiet mais déterminé, Courtemanche ne baisse pas les bras. Il espère qu’un dialogue ouvert avec les autorités éducatives permettra de trouver des solutions adaptées face à ces transformations majeures. Pour lui, la clé réside dans une collaboration efficace entre tous les acteurs éducatifs pour réinventer ensemble une pédagogie à la hauteur des défis du XXIe siècle.
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